Généalogie et Histoire en Pays Dolois

Quelques pages d histoire locale

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Les anciennes salines de Roz-sur-Couesnon.

            La plupart des salines de la baie du Mont Saint Michel se trouvaient dans la partie normande de celle-ci, le travail du sel y était une véritable industrie. On en compta jusqu'à 300. Dans la manche il y avait depuis des temps immémoriaux des salines à Marcey, Vains, Genêts, Bréhal, Bricqueville, Créances, Lessay, Montmartin, etc... Dés le huitième siècle il existait des salines de Huisnes à Genêts. Il semble que ce soient les grandes abbayes normandes qui dès l'an mille possédaient des droits sur ces établissements.

            Elles eurent une importance de plus en plus grande. Dans la partie bretonne elles s'étendirent peu à peu depuis Roz sur Couesnon jusqu'à Château-Richeux, mais elles ne furent jamais aussi importantes qu'en Normandie sauf peut-être à Roz sur Couesnon.

            Le pays était fortement marqué par cette industrie du sel ; Cette activité était strictement réglementée : pendant la fabrication, chaque saline faisait l'objet d'une réglementation très serrée. Le sel était pour le fisc ce qu'est l'essence aujourd'hui, personne ne pouvait se passer de ce produit, les sources d'approvisionnement étaient faciles à surveiller.

             Les gabelous veillaient à l'exactitude des poids utilisés, à la quantité de sel produite, au nombre de feux autorisés.

            Les sauniers étaient tenus d'être syndic à tour de rôle, organisant le temps de travail ; 80 jours par an, divisés en deux semestres de 40 jours. D'aucuns disent que lés sauniers étaient de pauvres gens. Les propriétaires étaient au contraire très assis. En 1778 le prix de vente d'une saline se montait à 10 ou 12000 livres. Une saline était officiellement louée 3000 livres par an[1] Les sauniers n'étaient donc pas à plaindre ; l'un d'eux en particulier a laissé un héritage de 22000 livres, chiffre très appréciable pour l'époque. Riches et influents les sauniers de l'époque « fricassaient l'argent avec leur plomb » et « chassaient les chiens avec des écus de six livres » ainsi dit la légende. L'état a toujours été tenté de limiter la production pour maintenir les prix. Les fraudeurs ne manquaient pas, on fraudait sur la livraison et les contrôles inopinés des voitures étaient fréquents ainsi que sur la qualité du sel de façon à en faire le plus possible quitte à le vendre moins cher et mal cuit.

            Les sauniers avaient aussi de nombreux litiges avec les paysans qui allaient chercher de la tangue pour améliorer leurs cultures. Le ratissage permanent des grèves finissait par les abaisser et surtout empêchait toute végétation, si utile pourtant pour le maintient du relief et des digues, protection contre la mer. Les sauniers encombraient aussi les chemins avec les charrois de sel mais aussi de bois, ce bois qui alimentait les salines. Elles fumaient jour et nuit, dégageant une fumée acre.

            La grève qui s'étend au pied du Mont Saint Michel et dans toute sa baie est unie et couverte d'un sable très fin ; On n'y voit pas de cailloux, et les coquillages y sont rares. Lorsque la mer est calme, elle entre dans cette baie par un mouvement très lent et n'y apporte d'autres corps étrangers que des débris de granit jaune et rouge détachés des rochers. Grâce à ce mouvement paisible des flots, il se forme sur la plage des dépôts d'une terre glaise bleuâtre, fine et bien lavée, connus sous le nom de lisses. Ces lisses sont des mines de sel.

            Pour faire le beau sel blanc, pendant les mois d'été, les riverains ratissent très légèrement, à l'aide d'un haveau, le sable chargé de salin. On ramasse dans des hottes le sable le plus fin et le plus pur et on le jette sur des aires pratiquées à ces usages. Là on le laboure plusieurs fois par jour et lorsque les sillons commencent à se couvrir d'efflorescences salines, on cesse cette opération et cette matière est transportée près des salines, en gros tas ou mondrains que l'on couvre de fagots et de terre grasse afin d'empêcher la pluie d'y pénétrer, on peut aussi la ramasser sous des hangars où on laisse ce sable jusqu'à la fin de la bonne saison. Ce sablon est ensuite aspergé d'eau douce qui entraîne les parties salées, lesquelles aboutissent par des gouttières dans des cuves placées dans le bâtiment destiné à l'évaporation. De ces cuves on le transvase sur des plateaux en plomb à rebords, on allume ensuite un feu clair sous ces plateaux, l'eau s'évapore en deux heures. Cette opération produit la cristallisation du minéral et le sel sera récolté au fond du plateau. Une eau nouvelle est versée dans le plateau et on continue l'évaporation. Après 24 heures d'effort on récolte en moyenne 50 kg de sel sur 3 plateaux, on le met à égoutter dans des paniers en forme d'entonnoir, les ruches.

            Ces opérations de bouillerie s'effectuaient dans des salines, petites maisons édifiées le long de la côte, au plus près de la mer, mais à l'abri des marées. Ces maisons de terre ou de pierrailles présentaient deux ouvertures dans leur toit de chaume, laissant échapper la fumée. On y trouvait trois fours en terre glaise, supportant chacun un plateau de plomb. Un feu clair y était entretenu pendant 24 heures, l'eau s'évaporait sous l'effet de la chaleur, toutes les deux heures on renouvelait cette eau.

            De tous temps on rendait les salines responsables d'une partie des dégradations des digues des marais à cause des havelages de sables nécessaires à leur exploitation.

            L'Intendant de Bretagne prit de nombreux arrêtés concernant la réglementation de ces salines mais aussi ordonnant leur destruction lorsqu'elles présentaient du danger pour les digues.

            Monsieur de la Motte Picquet, commissaire de la Cour, fit une inspection des marais de Dol en 1736, il prétendit que l'enlèvement des sables et gazons pris dans la grève pouvait faire venir la mer avec plus de violence contre les digues. Par un arrêt du 17 août 1736, le Parlement de Bretagne fit défense de prendre des terres, sables et gazons dans les grèves pour quelque cause que ce fut ; Un autre arrêté du 17 août 1749 ordonna expressément la suppression de toutes les salines construites sur la paroisse de Cherrueix, avec défense d'en bâtir de nouvelles et de ramasser des sables sur les grèves. En conséquence, les salines furent abattues.

            A cette époque, il existait deux salines à Roz sur Couesnon, à environ une lieue et demie de celles supprimées, il eut été normal qu'on leur fit subir le même sort, leurs fourneaux étant éteints depuis 1736.

            Cependant, peut-être parce qu'on considérait sans doute que la petite quantité de sable nécessaire a leur exploitation n'était pas capable de causer un abaissement nuisible à la grève et qu'étant situées à une demi-lieue de la rivière, il n'y avait pas à craindre que le havelage de sable puisse attiser son courant et que d'autre part, ces deux salines étaient alors les seules à fournir du beau sel blanc dans cette partie de la province. Monsieur Du Boisbaudry et le sieur Jacques Duchemin, propriétaires, purent demander le report de l'arrêt ordonnant la démolition de leurs salines et purent même rallumer leurs fourneaux.

            Si ces deux salines étaient restées seules, il n'y aurait eu aucun inconvénient de les laisser subsister, mais un dénommé François Meslin en fit construire une troisième en 1771 malgré toutes les interdiction qui lui furent faites. En 1772, Noël Bonhomme en fait construire une quatrième, et on apprend que plusieurs autres particuliers sont sur le point d'en faire construire de nouvelles. On a déjà fait, dans les grèves, des havelages sur une superficie de trente journaux. Des amoncellements considérables de sables s'enlèvent et se transportent hors de la grève. La multiplication de pareils établissements se révélant contraire à la sûreté des digues qui peuvent à peine être entretenues dans leur état, une nouvelle ordonnance sera prise à l'encontre de ces nouvelles salines le 14 juillet 1772.

Ordonne :

1° que la saline construite par François Meslin sera et demeurera supprimée.

2° défense expresse est faite tant au dit Meslin qu'a Noël Bonhomme et a tous autres d'enlever aucun sable de la grève pour le service d'aucune nouvelle saline à peine de 100 livres d'amende applicable à la réparation des digues et d'être les dits sables jetés à la mer aux frais de ceux qui les auraient amassés. En conséquence les sables seront étendus sur les grèves dans les huit jours.

            La saline appartenant à monsieur du Boisbaudry, seigneur de Launay-Morel, comprenait bâtiments et terrain avec droit de havelage, tel qu'il peut être sans aucune garantie tant par rapport à l'inféodation envers le Roy dont le domaine est imprescriptible, qu'aux dangers de la mer. Elle était tenue prochement et roturièrement de la seigneurie de Trans par le fief du Chatellier à charge d'une  ruche de sel menu blanc de rente seigneuriale[2].

            Des impôts amenèrent en 1639 la révolte dite des «nu-pieds». A partir de ce moment l'industrie périclita peu à peu. La révolution en supprimant les douanes intérieures[3], livra le sel blanc que fabriquaient nos sauniers à la concurrence des sels gris. Le sel de Lorraine envahit bientôt le marché. Certes il n'avait pas la qualité de nos sels blancs, mais il était plus de deux fois moins cher, ce qui entraîna les consommateurs a le préférer. Les sauniers essayèrent d'obtenir de l'assemblée nationale une protection qui ne leur fat pas accordée si bien que leurs petites usines périclitèrent peu à peu. L'une après l'autre, elles disparurent et les derniers sauniers se trouvèrent ruinés. Quelques-uns uns survécurent jusqu'au milieu du dix-neuvième siècle puis s'éteignirent. La production prit définitivement fin en 1865.

Bibliographie :

  • La baie du Mont Saint Michel et ses approches, Vicomte de Potiche, Avranches 1891.

  • Communication du chanoine Bindet, Gazette de La Manche, 20 octobre 1977.

  • Conférence de M. Pierre Valancony, La Manche Libre, 25 juillet 1976.

  • Les jeunes marins ou voyage sur les côtes de France et dans ses ports de mer, M. V.... ancien officier de marine, Paris 1827.

  • Bricqueville sur Mer, Chanoine Bréhier, édition OCEP.

  • Archives départementales d'Ille et Vilaine, C. 3705 ; C. 4913, pièces concernant les salines de Cherrueix et Roz-sur-Couesnon.

[1] Il y avait sûrement des pots de vin importants

[2] Au 19e siècle cette saline était exploitée par la famille Frain.

[3] La gabelle.

communication Michel Pelé

 

mise à jour du site : 12-févr.-2006          Contact         retour accueil