Rapport de DUBOIS - JOUEY
Médecin
des épidémies de Dol, 24 février 1787
Lorsque vous avez confié à nos soins le traitement des épidémies nous avons
vu qu'il était autant de notre devoir de tâcher de découvrir les causes qui
peuvent les produire et d'énoncer les moyens propres à les prévenir, que de
les attendre pour les combattre, souvent infructueusement. Nous nous sommes
donc occupés de la ville de Dol comme le chef-lieu de notre subdélégation et
notre résidence, dont nous avons rapporté le présent procès-verbal et en
avons déposé un autre au greffe de la police, afin qu'elle ne prétende cause
d'ignorance de ce qui la concerne.
Dol au 15° degré 53 minutes de longitude, 48 degrés 33 minutes 9 secondes de
latitude, est située sur une éminence au bord d'un marais qui s'étend
d'orient en occident dans la longueur de cinq lieues sur cinq quart de lieue
de large, depuis Dol au rivage de la mer qui n'en est séparée que par une
digue qu'elle renverse assez souvent; et à une pente assez considérable vers
le sud-ouest.
Après avoir fait toutes les recherches possibles sur les causes des fièvres
presque toujours putrides qui sont endémiques dans la ville et les faubourgs
de Dol, nous avons reconnu que son insalubrité ne provient pas, autant qu'on
l'a prétendu, de la vaste étendue des marais qui
1'avoisinent, au dessus desquels elle est élevée d'environ 15 pieds dans sa
partie la plus basse, et d'autant qu'ils sont découverts et que la mer
attendu son peu d'éloignement, y fait sentir et même entendre son flux et
son reflux et déplacer continuellement, par son mouvement rétroactif la
colonne d'air maléfique qui peut s'en élever. Nous pensons au contraire
qu'elle doit être plutôt rapportée à la tortuosité de ses rues toujours
humides et malpropres et par endroits si étroites qu'elles n'ont de passage
que pour une voiture.
2° à ce que la majeure partie des maisons très profondes sont séparées
par des ruelles d'un pied de large ou tombent et séjournent les égouts des
couvertures et ou aboutissent les dalots des cuisines des différents étages
par ou l'on jette les lavures, les urines et souvent de gros excréments,qui
se putréfiant exhalent des odeurs infectes, entretiennent les murs humides
et font des embas et même des premiers ...... des appartements très
malsains, dans lesquels on voit se traîner, des crapauds,des limas et autres
vermines.
3° à ce que les anciens murs de fortifications de la ville et quantité
de petites ruelles, de quatre pieds de large, qui y conduisent sont
journellement le dépôt; des animaux morts, des bourriers et de tous
excréments, de façon que ces murs sont toujours couverts d'un amas de
fumier continuellement en fermentation.
4° à ce que dans les rues basses de la ville
et des fauxbourgs, la plupart des embas des maisons est au dessous du sol
des rues ce qui les rend humides et malsains.
5° à ce que les propriétaires des jardins situés dans les fauxbourgs y
ont pratiqué des latrines, qui tombant sur les chemins et notamment celui
conduisant du pont de l'archevêque à la rue de la lavanderie, les rendent,
par les matières qui les couvrent, infects et impraticables; que même sur le
dit pont de 1'archevêque, 1'on est infecté par l'une des latrines de
l'hôpital qui tombe sur une des ailes de ce pont qui est couvert
d'excréments.
. ,
6° à ce que les fossés de la ville, au nord ouest depuis nombre
d'années, de dépôts aux boues et latrines et que le mur est percé dans
presque' toute sa longueur pour donner issue aux latrines des différents
particuliers qui habitent cette partie; que les matières continuellement en
effervescence exhalent des vapeurs pestilentielles qui portées tantôt sur un
bout de la ville, tantôt sur 1'autre, corrompent et infectent l'atmosphère.
7° à ce que la principale rue, qui compose pour ainsi dire la ville,
est bordée des deux cotés, dans les deux tiers de sa longueur, de porches ou
arcades qui rendent les embas sombres et humides, s'opposant à un libre
cours de l'air et interceptant les rayons vivifiants du soleil qui n'entre
jamais dans les appartements ou l'on respire une odeur de moisi.
Voila les principales causes de l'insalubrité auxquelles les habitants qui y
sont accoutumés, n'ont jamais fait attention. Tant l'habitude est grande
chez les peuples, qui ne cherchent pas même a pourvoir à leur conservation,
s'il n'y sont pas forcés par des ordres supérieurs.
Les habitations humides dans lesquelles les habitants sont journellement
ensevelis,1'air chargé des vapeurs pestilentielles qu'ils respirent
continuellement sont des causes bien suffisantes des maladie endémiques qui
règnent dans ce pays, sans avoir encore recours au
gaz inflammable des marais.
Pour remédier à ces inconvénients et pour forcer les habitants de Dol a
contribuer à leur santé, nous sommes d'avis.
1° qu'il faut faire élargir les rues, dans les endroits où elles sont
trop étroites, et leur donner le plus de rectitude possible, afin d'y
établir un courant d'air desséchant ces rues, enlever les miasmes de l'Eter
qui sont la source d'une infinité de maladies, de les faire nettoyer et d'en
enlever les boues au moins deux fois la semaine, de fixer un endroit où l'on
déposera les boues et les vidanges des latrines,dans un lieu assez éloigné
de la ville et des grandes routes pour que leur putréfaction ne puisse y
influer.
2° qu'il convient de détruire les porche s,comme il est d'usage dans
toutes les villes polluées non seulement parce qu'ils rendent les embas
malsains mais encore parce que la nuit ce sont des Bordels publics et des
coupe gorges où une honnête femme ne peut passer seule en sûreté.
3° qu'il est a propos de forcer les particuliers qui ont des ruelles
entre leurs maisons,de les détruire soit en construisant un mur mitoyen,soit
en établissant des gouttières dans toute la longueur des bâtiments qui
puissent jeter l'eau hors de l'entre-deux des maisons;sans avoir égard à des
ouvertures que des particuliers ont établies dans ces ruelles,d'un pied de
large,sous prétexte de droit de jour dans des endroits ou il n,'y en a pas,
d'où ils ne peuvent tirer qu'une très faible clarté,et qui rendent les
appartements d'autant plus malsains qu'ils sont plus près du sol par l'air
humide souvent empestiféré qui s'élève continuellement de ces réduits et
entrées,dans les appartements,au travers des murs pourris et des ouvertures
de ces ruelles,afin qu'ils n'aient plus d'occasion d'y jeter des immondices
qui ne manquent pas de s'y putréfier et d'infecter le voisinage.
4° qu'il est très important d'intercepter toutes les ruelles
conduisant aux murs de fortification, non seulement comme préjudiciable à la
santé par l'amas de matières continuellement en putréfaction, mais encore
comme servant de gîte ou se font annuellement des accouchements furtifs
comme nous l'avons vu par les dépôts d'arrière faits et des caillots de sang
qui désignaient où les accouchements s'étaient terminés. Des foetus trouvés
à demi mangés, putréfiés dans les brousses des fossés, avaient du être jetés
d'ailleurs que de dessus les murs? qu'il faut obliger chaque particulier de
clore endroit sur les murailles (que l'on doit regarder comme inutiles
puisque le gouvernement à fait abattre les portes de la ville et les
cavaliers qui les défendaient) afin de s'opposer aux dépôts des vidanges et
à la facilité de commettre le crime.
5° qu'il est nécessaire de forcer chaque propriétaire de faire des
fosses d'aisance bien couvertes et qui ne puissent infecter ni les voisins
ni les passants.
6° qu'il convient de défendre expressément de vider les latrines dans
les fossés de la ville et d'ordonner de boucher les canaux que des
particuliers ont percés à travers les murs de fortification pour donner
issue dans les fossés à leurs latrines particulières, d'autant que les
matières s'accumulent et fermentent continuellement dans ces fossés qui ont
toujours été secs.
Tels sont les moyens que nous connaissons les plus propres à s'opposer aux
progrès des maladies qui sont endémiques dans la ville de Dol et ses
environs et même à les détruire
Pourquoi nous vous supplions Monseigneur d'avoir égard au présent et de
vouloir bien ordonner selon votre justice.
Dubois Jouey
médecin des épidémies.
Greffier
Tallon chirurgiens des épidémies.
P.C.C.
A.D.I.V.
Michel Pelé, 23 janvier 1979.
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