Abrégé de ma campagne depuis mon départ de Saint-Malo jusqu’à mon retour en France

PREMIERE PARTIE 

     Appelé, en activité de service, le 15 août 1870 à Saint-Malo, chef lieu de mon arrondissement, pour compter au nombre des figurants sur les rangs des compagnies et des bataillons que l’on allait nouvellement former.

    Incorporé, sur les registres de la garde nationale mobile, depuis l’époque où elle a été établie, c’est à dire depuis le 23 mars 1867.

    Appartenant à la classe de 1865 ; je croyais certainement bien n’être jamais obligé à porter les armes : mais voilà, donc qu’en 1870 notre lâche empereur, déclare la guerre à la Prusse ; alors il faut donc des soldats sous les armes : On fait un appel à tout citoyen à tout le peuple en général ; alors comme n’ayant pas encore été congédié, il me faut donc partir avec les camarades.

    Nous allons donc, faire nos premières leçons de l’école du soldat en même temps que le maniement des armes à Saint-Malo ; nous y avons passé trois semaines assez agréables quoique aux heures d’exercices on nous faisait manœuvrer rudement et péniblement ; mais enfin il nous restait après les heures d’exercices, encore le temps de nous reposer et de nous promener, enfin de passer quelques heures où quelques moments agréables, en allant boire une bouteille de vin entre nous camarades.

    Ayant passé alors ces trois semaines à Saint-Malo, où j’avais été porté pour l’avancement, allant à l’école pratique tous les jours de une heure l’après midi jusqu’à deux ; je fus déjà nommé caporal auparavant que d’en partir

    Nous nous en allant donc de là à Fougères, ville de notre département ; nous avons eu trois étapes à faire : la première, de Saint-Malo alors jusqu’à Dol ; il faisait alors une chaleur étouffante ; ce qui nous a occasionné une soif ardente ; arrivés à Dol, nous sommes mis en billets de logement pour coucher, puis le lendemain, nous nous remettons en marche pour Antrain, l’eau s’étant mise à tomber depuis le matin et a continué jusqu’au soir ; fort heureusement pour moi, je me suis trouvé d’arrière garde et j’ai fait la route en voiture couverte jusqu’à destination, ce qui a fait que je ne me suis point trouvé mouillé comme les autres camarades ; arrivés à Antrain, nous avons comme la veille couché chez les habitants, où nous avons été très bien ; le lendemain, la pluie n’avait pas cessé, il faut nous remettre en marche tout de même ; nous arrivons au bourg de Saint-Brice à peine arrivés je rencontre dans la rue un monsieur qui m’invite d’aller chez lui me chauffer et me reposer pendant le peu de temps que nous avions à rester là, j’y vais donc et je mène avec moi, mon cousin Boutemy ; là nous nous chauffons comme il faut, puis on nous invite à manger un morceau, ce que nous ne refusons pas ; nous mangeons donc et nous buvons quand même, et quand il faut partir nous nous sentons capables d’achever la route ; alors ce monsieur nous demande d’où nous sommes et puis si nous connaissions à La Boussac la famille Piel, je lui réponds alors que j’en avais connus, mais qu’ils étaient morts, mais que je connaissais bien leurs descendants, enfin nous parlons comme cela, jusqu’au moment du départ ; puis à la fin il nous demande si nous avions connu monsieur Piel, tanneur à Pontorson, nous répondons que oui, eh ! Bien je suis son frère, nous dit-il ; lui était et est peut être encore pharmacien; l’heure de se remettre en route arrive, nous souhaitons le bonjour à cet honnête monsieur en le remerciant de sa bienveillance à notre égard, et puis nous partons.

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Arrivés, à Fougères, on nous conduit sur une place où l’on nous distribue des billets de logement, puis nous nous en allons de chacun notre côté trouver le sien ; moi et mon camarade et mon ami Jean Drouin, nous tombons chez un cordonnier, très bon et très brave, car il raccommodait jusqu’à mes souliers : Le lendemain, vers les dix heures du matin, on nous fait aller à la caserne pour recomplèter de nouveau les compagnies, car il devait en partir une pour Paris avec le bataillon de Fougères, à l’exception des hommes mariés et ceux qui avaient bien voulu permuter, c’est à dire changer avec un camarade pour partir ou pour rester ; c’est ce que l’on nous à fait faire aussi à nous, à nos deux compagnies ; on a fait un trillage parmi nous ; c’est à dire que dans les deux compagnies, on en a formé une, qui devait rester à Fougères comme étant le lieu de dépôt; on y a mis d’abord, tous les hommes qui étaient mariés ensuite ceux qui ont bien voulu permuter ou changer avec un camarade comme je viens de le dire, pour aller à Paris ou bien rester au dépôt. Ma foi ; moi, trouvant un caporal sans le chercher par exemple, qui est de Trans, c’est un nommé Trillet je crois, qui me cherche, me trouve et me demande si je veux permuter avec lui, je lui réponds que non, enfin il ne se contente pas de ce non ; il me suit partout et me répètte sans cesse enfin voulez vous changer avec moi ; mais l’heure avançait où il n’était bientôt plus temps de le faire ; puis il me dit encore, voilà tous mes camarades qui partent, je voudrais partir avec eux ; mais je lui dis encore, les miens partent bien aussi ; ma foi, le voyant ainsi déterminé que cela et après avoir réfléchi un instant en pensant que mes deux cousins restaient, (Boutemy François ainsi que Joseph Gaslain) et encore une autre chose, c’est que je pensais encore, que je pourrais peut-être bien me faire exempter, il en était encore temps : " Je lui dis alors après, faites votre permutation et je m’en vais vous la signer " ce qui ne fut pas long, car il eut bientôt fini, et ma foi, je la lui signe après; je crois, que dans sa vie, il n’avait jamais été plus content ; et moi qui m’attristais après en voyant presque tous mes camarades et mes amis partir et moi rester oui, vraiment, je me donne à croire que ça ma fait un grand effet quand ils sont partis et quelques moments auparavant aussi, car je les voyais sur les rangs et ils allaient bientôt me quitter peut-être, me disais-je pour ne se revoir jamais ; auparavant donc, qu’ils se soient mis en marche pour partir, on leur a fait une distribution de pain.

    La distribution finie, on a voulu les faire partir pour la garre du chemin de fer, afin de prendre le train de six heures du soir. Voilà le lieutenant à qui on avait donné le commandement de la compagnie, qui commande alors de porter les armes, la compagnie porte les armes, il commande ensuite, armes sur l’épaule droite, ce qui est exécuté ; mais quand il commande, en avant marche, pas un seul ne fait un pas, plutôt ils se mettent tous à crier, de l’argent ! de l’argent ! Il commande une deuxième fois en avant ; mêmes cris et mêmes mouvements que la première fois, il commande une troisième fois, toujours même chose se répète alors, il envoie chercher la garde au poste, voilà la garde qui arrive, mais elle ne leur fait pas grand effet ; il à fallu promettre de payer leur solde à la garre, ou sans quoi ils ne partiraient pas ; mais tout ceci je vous le répètte, était plus triste qu’amusant je vous assure : (j’ai pensé bien des fois à eux, à mes pauvres camarades et ai regretté depuis, bien des fois de ne pas avoir été avec eux).

    Les voilà donc partis pour Paris, et nous voilà restés à Fougères dans cette salle ville ; nous y passons encore trois semaines pendant lesquelles nous avons été casernés environ huit jours et le reste nous avons été logés en ville, chez les habitants, lesquels sur les derniers jours, commençaient à bien s’ennuyer de nous, enfin ils sont obligés de souffrir avec nous toutes ces difficultés, du temps qui passe.

    Nous passons donc trois semaines comme je l’ai dit, dans cette malheureuse ville, là on nous fait aller à l’exercice deux fois par jour, ensuite de cela l’école pratique tous les jours, de une heure à une heure et demie l’après midi pour nous sergents caporaux et ensuite l’heure de l’exercice pour tout le monde arrivait : de deux à quatre il fallait être là tenu à instruire les autres souvent des têtes à qui l’on ne pouvait faire rien comprendre, en voilà quelque chose d’agaçant et d’ennuyant ; et le matin depuis sept heures du matin jusqu’à dix on nous tenait là aussi ; je vous promets que l’on trouvait la soupe bonne quand l’on était arrivé, et quelquefois il nous fallait faire au moins six kilomètres, car on nous faisait aller jusqu’à la forêt, nous exercer à apprendre l’école de tirailleurs ; puis ma foi, le reste de la journée nous pouvions l’employer à quoi bon nous semblait, soit à nous faire du bien ou du mal, je veux dire par-là, nous promener où nous enivrer ; c’était quelque chose, comme je viens de le dire qui pouvait nous faire du bien ou du mal.

    Nous avons donc passé trois semaines à Fougères ; mais notre capitaine y étant fort ennuyé, demande à partir mais je crois fermement bien qu’il n’a pas attendu à recevoir la réponse pour nous faire mettre en route ; il nous fait donc prendre le chemin de fer, je crois que c’était le vingt trois septembre 1870 ; il nous emmène donc à Vitré, arrivés à Vitré nous y couchons la nuit, en billets de logement, où je me trouve logé ainsi que mon camarade chez un brave monsieur au bureau de l’octroi ; nous avions un peu loin, mais nous n’avons pas perdu nos pas, car nous avons été magnifiquement soignés, c’était sa gentille demoiselle qui s’est occupée du soin de la cuisine, mais je vous réponds qu’elle s’y connaît ; elle est aussi gentille et aussi aimable qu’elle arrange bien un bon repas, parmi cela elle est douce parlante, plaisante, à mes yeux, je n’ai pu lui trouver aucun défaut qui puisse ne pas la rendre aimable je vous réponds qu’il y a beaucoup de différences entre elle et ces demoiselles de Bavière qui nous entourent maintenant on ne peut en regarder une sans pleurer, c’est quelque chose de dégoûtant ho ! si vous saviez, du moins si vous le voyez ; je ne le désire pas cependant car il y en a bien assez comme cela de nous, dans ce maudit pays, à manger du pain noir et de l’orge bouillie ; enfin finissons de cela et continuons notre course en campagne. .....

- Avant, donc notre départ de Vitré on nous distribue quelques effets, on nous donne quelques pantalons, caleçons, souliers, puis (des toiles de tentes), du moins des couvre pieds, puis après on nous fait monter en chemin de fer ; il est dix heures du matin, la compagnie de Vitré est avec nous, et nous voilà partis sans savoir où.

    Arrivés à Laval ; notre capitaine, pendant que le train est arrêté ; fait ses au revoir et adieux en même temps à sa jeune femme qui pleure, à sa mère désolée et à ses petits enfants qui ne comprennent rien à tout cela puis, il les embrasse et nous partons ensuite. Nous arrivons au Mans, la nuit commençait à tomber ; comme on était aucunement averti de notre arrivée à la place, on nous renvoie à Alençon ; arrivés à Alençon; nous en sommes de même, le général n’en ayant point été averti ne veut pas nous recevoir non plus, cependant, comme ne sachant ou nous renvoyer sur-le-champ, il nous garde quand même, oh ! comme il se faisait bien tard il nous met à coucher dans une grande écurie de la caserne où nous passons la nuit assez tranquille, le lendemain on nous fait aller coucher en ville ; je tombe encore une fois comme il faut, car je ne peux pas me plaindre vu que l’on a fait tout ce que l’on a pu pour l’amour de moi et de mon camarade aussi, qui était Joseph Gaslain, à l’époque ; le surlendemain il faut aller au quartier faire quelques heures d’exercices, puis le reste de la journée nous pouvions nous balader en ville si nous avions voulu ; tout ce que je puis vous en dire, c’est que je la trouve gentille cette ville.

    Enfin nous restons encore dans cet endroit environ quatre jours, puis on nous fait retourner au Mans.

    Alors, de retour au Mans, on nous met en caserne de suite, puis tous les jours on nous fait faire six heures d’exercices, ce qui commence à ne pas trop nous amuser ; mais voilà que cela finit bientôt car on nous fait partir en campagne. Nous nous en allons vers Chartres voir si on rencontre quelques prussiens.

    D’abord nous arrivons à Chartres, c’était les premiers jours d’octobre, je crois que c’était le 8 ou le 9 ; à la descente du chemin de fer on nous fait défiler sur la place où l’on nous fait former le cercle tout autour ; et là, nous recevons les ordres du général qui commande à toutes les compagnies qui se trouvent réunies sur cette place, de former les fessaux et de deux en deux heures il faut s’y trouver réunis ; en voilà une corvée que celle là, puis nous recevons des billets de logements pour aller coucher en ville ; bon, voilà qu’il m’en tombe un, chez lequel il me faut courir au moins trois kilomètres pour aller chez lui, je faisait une partie de la route, mais j’apprends que c’était aussi loin que cela, je ne vais plus loin, je retourne sur mes pas, et je rarive sur la place, en face de laquelle il se trouve une auberge où je vais demander s’il y à moyen d’avoir un lit pour la nuit, en payant, bien entendu, on me répond que oui, j’étais très content de cela. Et voilà, qu’un instant après, le général envoie un ordre de déconsigner la place, ce qui nous arrange très bien ; alors de là nous nous allons à cette auberge où nous demandons à souper que l’on nous sert et puis du vin puisqu’il n’a pas de cidre ; mais après avoir soupé on demande ce que l’on doit ; on a été fort surpris du prix que l’on nous a demandé ; enfin il n’y a pas eu d’explication à faire, il a bien fallu payer ce que l’on nous a demandé ; mais dans cette affaire là nous avons pensé à quelque chose ; puisque nous couchons ici, nous nous sommes dit, s’il y à moyen de les refaire, nous y essaierons, voilà qui est très bien, nous sommes six, à coucher dans la même chambre ; nous passons la nuit bien tranquillement, le matin on se lève assez bonne heure, quand nous sommes descendus l’escalier, il n’y a que la bonne qui soit encore debout ; alors nous nous commandons la goutte, qu’elle nous sert, nous la buvons subitement pendant qu’elle s’en va dans un appartement à coté et nous nous empressons de prendre la porte pour partage et nous défions à M. où Mme l’hôtesse de courir après nous, pour qu’on lui paie son lit et sa goutte ; mais elle n’a rien perdu là dedans, car elle nous l’a bien fait payer le soir ou nous avons soupé chez elle ; il faut avouer qu’un bienfait n’est jamais perdu mais aussi qu’un mauvais tour se trouve toujours remplacé par un autre.....

    De là, nous nous en allons à l’exercice sur les boulevards ; à dix heures du matin l’exercice est terminé, nous allons déjeuner aussitôt, pour revenir à deux heures reprendre l’exercice ; mais pendant ce temps là, notre capitaine reçoit l’ordre de partir avec sa compagnie en grande garde à une heure de l’après midi.

    A l’heure indiquée, la compagnie se rassemble sur les boulevards, et nous nous mettons en route ; arrivés en face de la caserne, on nous fait défiler dans la cour pour espérer une compagnie de matelots qui devaient venir avec nous.

    Le général nous indique donc l’endroit ou nous devons nous diriger.

    Nous nous en allons donc après avoir reçu cet ordre, tout près d’un petit bourg nommé Jouy ; arrivée là dans une grande plaine, bornée au nord par des bois où taillis en pente, tombant sur la ligne du chemin de fer de Paris ; il est à peu près la nuit close ; comme nos matelots ayant avec quoi camper, ils choisissent un endroit assez convenable, entre deux taillis, et là, ils montent leurs tentes et campent dans cet endroit, lieu qui nous sert de poste ; on commence après cela à placer nos factionnaires, en mettant la moitié de matelots et l’autre moitié de mobiles ; de manière que nous en formons une ligne de au moins trois kilomètres de longueur qu’il faut que l’on relève toutes les deux heures, ce qui n’est pas amusant pour les caporaux quand on se trouve de garde de la nuit, surtout dans cette saison, déjà bien rigoureuse ; notre compagnie se trouvant détachée ; c’est à dire que notre capitaine s’en était allé avec la moitié de la compagnie, plus loin encore établir un autre poste ; ce qui faisait qu’à peu près toutes les deux heures nos hommes se trouvaient de garde ; et, comme n’ayant point où camper, notre Sous. Lieutenant, nous fait descendre la côte, et au bas se trouve une petite garre et nous couchons sous un appartement où l’on dépose des bagages, il n’y faisait pas très chaud, mais enfin on était encore bien mieux que dehors couchés sur la terre ; mais ce qui était bien fatiguant c’était de monter cette côte, où coteau pour relever les factionnaires, et bien souvent, la pluie tombait encore, on pouvait compter en faisant le trajet ; ou le tour, pour relever les factionnaires, qu’il y avait au moins huit kilomètres ; on avait à peine le temps de parcourir le chemin vivement afin d’être revenu assez tôt pour prendre la relève des factionnaires et commencer de suite par relever le premier et continuer ensuite, et je vous assure que les deux heures de faction qu’ils avaient à faire chacun étaient bien expirées ; ceci, a duré cependant trois jours et trois nuits comme cela, et n’ayant presque pas de vivres, que comme on pouvait s’en procurer avec beaucoup de peines et à même sa bourse ; dans ce pays, se trouve la vigne, mais elle n’avait plus de grappes, nous ne pouvions donc manger de ses raisins ; il se trouvait parmi, quelques pommiers qui nous fournissaient encore quelques pommes, que nous faisions cuir pour manger avec le pain que nous pouvions nous procurer.

    Nous trouvant le jour, occupant un poste nouveau, dans un bois au bord de la plaine, et à quelques distances du grand poste; là, quelques braves fermiers des environs, ayant appris que nous étions de garde aux environs de chez eux, nous ont apporté deux ou trois fois du pain avec du fromage de lait qui ne nous régalait guère, mais comme ayant bon appétit je me mets comme les autres à taper dans le tas et je finis par le trouver bon ; ils nous ont apporté aussi du petit vin qui n’était pas fameux, mais enfin, on le trouve bon tout de même car on était assez altéré et on aurait bien voulu en avoir tous les jours comme cela, nous aurions été beaucoup plus heureux que nous ne le sommes trouvés.

    Après ces trois jours écoulés, nous recevons l’ordre de battre en retraite sur Chartres, après n’avoir vu ni rencontré aucuns uhlans : nous abandonnons nos postes, il est environ cinq heures du soir, et nous arrivons à Chartres il est la nuit close ; on entre dans la cour du quartier de la caserne, puis on nous fait entrer dans les écuries où nous couchons sur un peu de paille et entassés les uns sur les autres.

    Enfin, le jour paraît le lendemain quand on vient nous dire. Soldats, levez-vous, puis on nous annonce l’arrivée des Prussiens et en même temps que la ville est déjà rendue et livrée aux Prussiens.

    Il nous fallut donc battre en retraite, mais auparavant, on commande à chaque compagnie de s’en aller prendre des positions à quelques distances de la ville, et dans les endroits indiqués : notre compagnie doit donc se diriger vers le nord-ouest de la ville ; à trois kilomètres environ, dans une plaine, entre deux petits bois taillis ; c’est là que nous espérons l’arrivée de MM. les Prussiens que nous n’avons point vus.

    Enfin, malgré que, ne voyant pas de Prussiens, il nous a fallu garder nos positions jusqu’au moment ou l’armée s’étant mise en marche sur Châteauneuf, où elle s’est dirigée en battant en retraite.

    Mais auparavant que de battre en retraite, vers les deux heures de l’après-midi ; notre capitaine, montant sur le haut de la plaine où nous nous trouvions, et avec son lorgnon, regarde de tous côtés dans la plaine ; il apperçoit quelques cavaliers, alors, il croit que c’est des uhlans ; il redescend promptement et nous commande d’aller nous déployer en tirailleurs, tout le long de ces taillis, où nous étions, et de bien nous cacher pour tacher de les surprendre quand ils vont nous aborder, mais nous avons eu beau espérer et nous aurions espéré longtemps auparavant qu’ils viennent nous trouver dans cet endroit, car je crois bien qu’ils n’y ont jamais mis les pieds : c’était des gendarmes français qui commençaient déjà à battre en retraite, et voilà donc les uhlans de notre capitaine.

    Plus tard, après avoir reçu l’ordre de suivre la colonne qui battait en retraite ; notre capitaine commande alors ; (tirailleurs en retraite) ; les hommes, plutôt effrayés par cette parole que rassujettis, une partie se sauve d’un côté, les autres d’un autre, en se fourrant dans les bois, c’était quelque chose d’épatant ; on se met à crier dessus, et l’on parvient tout de même à les rassembler et à les rassurer en même temps ; puis après, nous rejoignons la colonne qui était en marche pour se rendre à Châteauneuf ; nous y arrivons il était fort tard, car nous avions au moins huit lieues à faire et nous commençons à battre en retraite il était au moins trois heures de l’après-midi. Etant en route, tourmentés, par une soif ardente, on buvait de l’eau qui était capable de nous faire périr sur-le-champ ; enfin arrivés à Châteauneuf, j’entre dans une maison que je trouve ouverte et j’y bois trois grands verres d’eau et je n’ai encore pu m’étancher la soif ; puis après cela pour lieu de repos, on donne la rue, le pavé pour lieu de campement ; alors, moi, et plusieurs de mes camarades nous cherchons quelqu’abri, tout ce que nous pouvons trouver, c’est un méchant petit hangar sous lequel étaient amassés des fagots de jans, nous n’y regardons pas de si près car nous ne pouvons plus tenir debout tellement nous étions fatigués, nous nous couchons dessus et nous y dormons, sans avoir senti, seulement la moindre piqûre ; le lendemain, il nous faut reparaître sur les rangs d’assez bonne heure, et il faut encore passer à peu près la journée entière sans manger, car on ne pouvait se procurer que très peu de chose dans cette sale ville, on a même mis les gendarmes à la porte des boulangeries, pour empêcher de pouvoir acheter seulement une pauvre livre de pain ; après cela on nous fait aller derrière la ville à environ un demi-kilomètre, dans une plaine, ensemencée en froment où nous sommes trouvés réunis environ douze mille hommes, où se trouvaient aussi quatre pièces de canon ;

    Là, on s’attendait, à voir les Prussiens arriver ; mais on ne les a point vu, on les espérait cependant avec grande impatience car on était rangé en bataille tout prêts à se battre; mais voilà que l’eau s’étant mise à tomber, et nous point où nous cacher ; on nous à fait aller couper des branches d’arbres dans le petit bois voisin, pour nous faire des loges afin de pouvoir nous cacher ; mais nous n’avons pas réussi nous passons toute la nuit donc dans une triste position, sans avoir pu nous faire le moindre abri, nous avons eu seulement un peu de paille, sur laquelle nous nous sommes couchés les uns sur les autres afin de nous réchauffer un peu, car l’eau qui tombait n’était pas chaude je vous en réponds, le lendemain matin il n’a pas eu besoin de s’abîmer la voix à crier sur les hommes pour les faire se lever ; ils ont tous, aussitôt qu’ils ont aperçu la pointe du jour paraître, ils ont été bientôt debout : nous restons là, encore jusqu’à environ onze heures du matin, quand on nous averti qu’il faut de nouveau battre en retraite ; alors, après ce commandement, toutes les troupes se dispersent et s’en vont, chacune sur telle ville après qu’elle leur a été indiquée ; nous ; nous recevons l’ordre de nous diriger vers Senonches, enfin, après que nous avons évacué, Châteauneuf ; le lendemain, messieurs les Prussiens y sont entrés l’arme au bras.

    Nous voilà donc en marche sur Senonches ; c’est une petite ville qui se trouve à environ six ou sept lieues de où, nous venons de quitter, l’eau continuait toujours à tomber nous arrivons à Senonches à la nuit tombante, assez mouillés et fatigués comme cela ; on nous fait la distribution de notre solde et ensuite on veut nous faire coucher sous de pauvres hangars et dans des loges à sabotiers ; mais messieurs les officiers, n’ont pas été les maîtres cette fois là, tout le monde s’en est allé en ville tachant de pouvoir se procurer un lit ; alors j’ai fait comme les autres. En passant dans une petite rue, une dame se trouvant à sa porte ; je lui demande si elle ne pourrait point me procurer un lit, ainsi qu’à mon camarade, pour la nuit, elle nous dit d’entrer chez elle qu’elle en avait un, nous entrons, et aussitôt entrés, elle commence par nous faire un bon feu afin de nous réchauffer un peu, ensuite se met en train de faire le souper ; puis étant fait faut se mettre à table ; on soupe comme il faut, au dessert nous avons des poires, des noix, du beurre, suivi de vin, et de café, je puis vous dire que jamais il ne m’a été possible de mieux souper, enfin le souper étant terminé, cette bonne dame nous fait monter dans une chambre ou se trouvait le lit préparé pour nous. En entrant dans la chambre, j’aperçois sur le lit deux chemises bien blanches qu’il nous a fallu prendre auparavant que de se coucher, ôtant les nôtres, elle nous les a lavées et fait sécher, ainsi que tous nos autres effets, (elle y a passé presque toute la nuit après tous nos effets, cette bonne dame) ; le lendemain matin, aussitôt qu’elle entend du bruit elle vient nous éveiller, car elle savait ce que cela voulait dire; c’était le bruit du clairon et le sifflet des francs-tireurs qui sonnait le réveil en même temps que, la générale, qui signifie, tout le monde à l’instant debout, et réunis aussitôt.

    On annonce l’arrivée des prussiens ce qui met une épouvante dans toute la ville ; on voit tout le monde sur pieds dans un instants ; alors, on demande promptement à cette dame, nos chemises de la veille, mais il faut garder celles que vous avez nous répond elle ainsi que vos chaussettes, car elle nous en avait donné le soir chacun notre paire pour nous ressècher les pieds, ça vous servira nous dit elle encore ; nous nous habillons donc promptement, et pendant ce temps, cette dame s’empresse de nous apprêter à déjeuner, que nous prenons à la hâte avec un bon café puis nous faisons nos adieux en même temps que nos remerciements à cette brave dame qui nous remercie beaucoup et qui avait l’air toute consternée, de notre départ si subit ; elle nous souhaite un heureux voyage en nous priant de penser à elle et même de lui écrire.

    Cette dame s’appelle Madame Lelièvre négociante à Senonches je m’en souviendrai tant que je vivrais.

    Après l’avoir quittée, nous nous empressons donc de nous rendre sur la place, où après avoir reçu l’ordre de se diriger vers La Loupe, nous partons. Sur cette route se trouve une forêt d’au moins trois à quatre lieues de traversée que nous faisons à la hâte car on craignait qu’il y eut quelques prussiens de cachés dedans, mais nous n’avons rien rencontré.

    A quelque distance de cette forêt sur la même route, se trouve un petit bourg que l’on appelle Bellomert ; là nous croyons y faire une petite halte afin de prendre un peu de ce qui nous aurait été nécessaire, soit pour le boire, ou le manger, mais on nous a fait filer jusqu’à la Loupe sans pouvoir rien prendre.

    Alors arrivés à la Loupe, la nuit commence à tomber ; on commence d’abord à nous chercher des cantonnements pour pouvoir nous coucher, on en trouve et on nous y conduit immédiatement ; notre compagnie se trouve logée dans les écuries d’un aubergiste ; là nous avons eu un peu de paille qui a fait que nous avons pas été trop mal couchés, et nous avons pu nous procurer à peu près ce qui nous était nécessaire.

    Le lendemain, c’est encore à nous d’aller en grande garde, toujours la première compagnie était la en arrivant ; c’était elle qui fallait qu’elle aille presque partout, enfin, il faut encore bien aller, puisque l’on se trouve commandé. Nous nous en allons donc à peu près à trois kilomètres de la ville, dans un certain endroit où l’on était pas trop mal, c’était dans une petite ferme où les habitants étaient très affables : là nous y passons vingt quatre heures, au bout desquelles nous sommes relevés par une autre compagnie ; pendant ces vingt quatre heures, nous sommes invités à aller manger de la soupe chez le maire de ce petit endroit ; nous y allons ; nous envoyant les uns après les autres ; pour moi ; je trouve y avoir bien dîné, et pour dessert ce monsieur le maire, nous donne un cigare à fumer que nous ne refusons pas bien sur ; puis nous nous promenons par le bourg de sa commune ; je vous assure que les Prussiens n’auront pas de mal à le prendre ce bourg, il ne se trouvera bien défendu ; je n’ai pu voir que quatre à cinq habitations il y a principalement, l’église, la maison du curé, puis une auberge dans laquelle nous avons entré, nous avons bu du vin et du café que l’on n’a pas voulu nous laisser payer ; ensuite nous revenons à notre poste ou nous sommes bientôt relevés.

    De retour à La Loupe, nous avons été reprendre nos cantonnements, où nous avons couché de nouveau, puis le lendemain nous avons eu à faire, que de nous balader par la ville, en espérant toujours l’arrivée des Prussiens que l’on ne vit point.

    Après avoir passé trois jours dans cet endroit ; on nous fait retourner sur nos pas ; nous arrivons à Bellomert il est déjà la nuit close, alors on nous y fait cantonner, dans les écuries et étables des habitants de ce village ; le lendemain nous séjournons ; puis le surlendemain, nous nous remettons en route ; arrivés à Senonches nous y restons quelques instants, ce qui me donne le temps d’aller voir la bonne dame chez qui j’avais couché il y avait quatre ou cinq jours ; elle en était très contente, il a fallu encore prendre une bonne goutte auparavant que de la quitter ; car je n’avais pas le temps de m’arrêter prendre autre chose, je lui dis bonjour et je rejoins ma compagnie qui s’était déjà remise en marche, vers la Ferté-Vidamme arrivé là, on nous conduit dans un ancien château, appartenant autrefois à Louis Philippe ; ce château est d’une grandeur extraordinaire, puis un jardin, taillé en bois et en promenade, puis des réservoirs d’eau se trouvant au milieu pour en embellir la beauté et la magnificence.

    Autrefois, Louis Philippe venait faire quelques parties de chasse dedans avec ses courtisans ; ce jardin est d’une grandeur extrême, il a au moins trois kilomètres à une lieue de circonférence : nous avons donc été cantonnés dans ce château l’espace de trois jours.

    Au bout des trois jours, on nous fait aller plus loin, nous allons à Verneuil ; c’est une ville grande et belle, du département de l’Eure. De ce joli petit bourg que nous quittons pour y aller, il existe une route magnifique, d’une longueur de quatre lieues, où l’on aperçoit très bien la tour de l’église de Verneuil, dans laquelle on pourrait très bien tirer un coup de canon dedans, il se trouve aligné juste au milieu de cette route qui est très droite de toute manière. Arrivés dans cette ville, nous défilons sur un boulevard, puis on nous envoie chercher du pain en ville et quelque chose avec, puis on nous conduit au couvent des frères, dans lequel nous avons couché : le lendemain vers les dix heures on nous conduit à la gare, où nous prenons le chemin de fer pour retourner au Mans.

    En chemin de fer, nous passons donc pour retourner au Mans, par Sainte-Gauburge, Le Merlerault, Sée, Alençon et quelques autres petits endroits, auparavant que d’arriver.

    Voilà donc le récit, de ce que j’appelle, ma première campagne.

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